Le 8 mars est la journée internationale de la femme. Cette journée ne sert pas à célébrer la femme, mais bien à faire le bilan et communiquer sur les inégalités résistantes entre les femmes et les hommes. Ce qui dans le langage courant est d’ailleurs raccourci en « journée de la femme » est en réalité la « journée des droits de la femme ». Si les inégalités femmes/hommes sont un enjeu majeur de ces dernières décennies, le bilan reste médiocre : les inégalités persistent, voire vont en augmentant avec l’addition des nouveaux enjeux climatiques. L’Organisation des Nations Unies (ONU) déclare :
« Les femmes et les filles subissent les plus forts impacts de la crise climatique, car celle-ci amplifie les inégalités existantes entre les sexes et met la vie et les moyens de subsistance des femmes en danger. Dans le monde entier, les femmes dépendent davantage des ressources naturelles, bien que l’accès à celles-ci soit moindre ; par ailleurs, elles portent souvent une responsabilité disproportionnée dans l’obtention de la nourriture, de l’eau et du carburant.”
Les femmes seront, sont déjà, les premières victimes du dérèglement climatique. L’accès aux ressources naturelles, à l’école, à des emplois de cadre, à la sécurité est bien plus compliqué pour les femmes. Les raisons sont multiples et complexes, les solutions doivent être globales pour que la situation des droits des femmes dans le monde s’améliore véritablement.
L’action des ONG et des acteurs associatifs sur le terrain est primordiale dans cette approche de lutte des inégalités de genre. Il s’agit d’un thème transversal qui touche à tous les domaines : pauvreté, alimentation, logement, sécurité, éducation, accès à l’eau.
Ce que nous vous proposons dans cet article, c’est de comprendre l’impact de l’action de Peuples et Montagnes du Mékong sur les inégalités de genre au Laos.
Comment l’action médico-sanitaire de PEMM participe à la lutte contre les inégalités de genre ?
Avant de décrire le travail réalisé par l’association dans la réduction des inégalités de genre au Laos, il est opportun de revenir sur la situation même du pays sur cette question. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) suit de près la question des inégalités dans le monde : en vingts ans, la mortalité maternelle (décès de la mère au moment de l’accouchement ou dans les 42 jours suivant la mise au monde) a diminué de 38%. Cette baisse de la mortalité maternelle concerne également le Laos. En 2000, il fallait compter 544 morts pour 1000 naissances. En 2017, le Laos recensait 185 morts pour 1000 naissances, soit une diminution de 34% en seulement 17 ans. D’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine, améliorant la situation des futures mères. Mais ce chiffre reste malheureusement trop élevé. Pour apporter un élément de comparaison à nos lecteurs, la France compte 8 morts pour 1000 naissances. L’attachement à la naissance de façon traditionnelle peut expliquer ce fort taux de mortalité : les femmes refusent d’accoucher dans un dispensaire et reste culturellement dans leur maison pour donner la vie. En cas de problème, elles sont alors seules et sans personnel médical pour les assister. De ce fait, elles n’ont pas l’habitude de consulter un gynécologique. Lorsque PEMM organise des visites de dispensaires, nos médecins bénévoles sont face à deux cas :
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soit aucune patiente ne se présente au dispensaire,
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soit dans la majorité des cas, elles présentent des problèmes importants et doivent être envoyées dans un hôpital de district, voire de province.
Quand bien même une femme se présenterait dans un dispensaire pour accoucher, si sa complication est trop importante au moment de la délivrance, il est trop tard pour l’envoyer dans un hôpital qui pourrait la prendre en charge (hôpital trop éloigné, mauvais état des routes…). Le travail à faire est donc double : d’abord sur l’appui des compétences des centres de santé et sur les comportements culturels des futures mères pour les sensibiliser à l’importance du suivi gynécologique. Ce suivi gynécologique n’est pas seulement important au cours de la grossesse de la femme. Lors de la dernière mission en gynécologie dans la province de PHONGSALI, nos deux intervenantes ont ausculté une femme présentant une tumeur mammaire de 5 cm, probablement cancéreuse, qui évoluait depuis un an. Elles ont proposé d’envoyer cette femme dans l’hôpital de province, voire à l’hôpital de Vientiane si besoin, pour une mastectomie. Elles ont également vu plusieurs cas de stérilité de plus de 10 ans dont l’exploration et la prise en charge ne peuvent se faire qu’à Vientiane.
Les jeunes filles et les femmes consultent peu les docteurs, voire pas du tout et ce même dans le cas de leur grossesse. Ce manque de consultation impacte directement les équipes de soignants qui pratiquent peu les actes médicaux. Or la pratique est essentielle pour que les soignants ne perdent pas les bons gestes ou les bons réflexes. Ils voient aussi peu de cas, ou lorsqu’ils en voient, il s’agit seulement des cas les plus compliqués et donc impossible à prendre en charge dans un petit dispensaire de montagne manquant de moyens.
Médicalement parlant, les soignants lao n’en savent pas moins que les soignants français, ils manquent de moyen matériel, humain et économique : matériel car ils sont extrêmement limités (avec le plus souvent l’absence d’eau au sein des dispensaires), humain car le nombre de soignant est limité (0,4 médecins pour 1000 habitants), économique car l’entièreté des soignants n’est pas rémunérée pour leur travail. C’est la raison pour laquelle ces derniers ne peuvent pas passer tout leur temps au dispensaire et qu’ils peuvent encore moins bénéficier de la formation continue.
PEMM a décidé d’agir sur les moyens matériel et économique en proposant des formations médicales et un accompagnement des soignants. Vous le savez, l’association a pour programme de former les soignants et de les accompagner jusque dans les dispensaires. Ces missions permettent aussi aux médecins français de recueillir l’expression des besoins matériels des soignants auxquels nous tentons de répondre le plus possible. Donner les compétences et les moyens à tous les soignants, même ceux les plus reculés, c’est augmenter les possibilités de prise en charge. À l’heure actuelle, 64% des naissances au Laos sont assistées par un personnel de santé (chiffre de 2017). Comme vous vous en doutez, ces 64% ne sont pas répartis équitablement sur le territoire, et dans la province d’OUDOMXAI et de PHONGSALY, PEMM travaille avec les 36% restant de femmes continuant d’accoucher seules chez elles. En décidant de travailler sur les compétences des soignants, PEMM améliore la situation sanitaire des dispensaires, la prise en charge des patients par des soignés formés. Ces formations permettent de faire prendre conscience aux soignants de leur rôle de sensibilisateurs auprès des patients.
La formation est un formidable levier pour réduire la mortalité maternelle. Mais ce n’est pas la seule forme d’inégalité sur laquelle les formations médicales agissent. Dans une société très fortement marquée culturellement, les femmes qui sont suivies en gynécologie le sont par…des femmes. Les formations en gynécologie augmentent les compétences des médecins, des sage-femmes et des infirmières. Il est essentiel qu’elles se sentent compétentes et mises en valeur pour pouvoir faire le suivi de leur patiente et assurer des postes à responsabilités dans les centres de santé.
PEMM a établi ces deux actions (les formations et les chantiers d’adduction) dans la complémentarité. L’idée est de pouvoir offrir de meilleurs soins dans un meilleur environnement. Il est important pour la population d’avoir accès à un point d’eau sécurisé : une eau propre et consommable sans risque pour la santé. Actuellement, seulement 18% de la population du Laos a un accès à un point d’eau sécurisé (chiffre datant de 2017). Les chantiers d’adduction menés par PEMM sont une réponse efficace sur la gestion de l’eau et la réduction des maladies hydriques chez un public fragile, c’est-à-dire les personnes âgées, les enfants et les femmes. Rendre l’eau accessible est aussi une façon de lutter contre l’inégalité femme/homme. En Asie, le temps moyen pour aller chercher de l’eau est de 21 min … en saison sèche. Ce chiffre est bien moins impressionnant que pour l’Afrique, mais il est révélateur de la réalité des populations du Laos : est approvisionné en eau celui qui a le temps d’aller la chercher. Celui ou celle, car les femmes et les jeunes filles sont présupposées à cette tâche.
Les jeunes filles vont chercher l’eau pour la famille (pour boire, cuisiner, laver). Plus l’eau à aller chercher est loin, plus la jeune fille doit faire des allers-retours pour obtenir la quantité suffisante d’eau. Ce temps passé à récupérer de l’eau est un temps manqué sur les bancs de l’école. Le poids de la ressource eau pèse sur les jeunes filles et sur les possibilités d’accéder aux études d’une façon complètement étrangère aux garçons. Rajouter à cela un manque de suivi gynécologique et des grossesses précoces, l’égalité des chances entre les genres est impossible, du moins tant que de telles conditions existeront. Avec le dérèglement climatique, le Laos va connaître des épisodes de saison des pluies plus forts et des épisodes de sécheresse plus extrêmes. Les femmes seront des victimes directes de ces changements, puisqu’elles devront alors passer plus de temps pour aller chercher l’eau.
PEMM avait aussi mené un projet de toilettes sèches en 2011, l’absence de sanitaire pose des questions d’hygiène pour les filles et jeunes filles réglées. En l’absence de sanitaire à l’école par exemple, les jeunes filles au moment de leurs menstruations restent chez elles, ou se retiennent toute la journée augmentant le risque d’infection urinaire. La difficulté d’accès aux ressources naturelles (ici de l’eau) est une contrainte qui impacte directement les femmes dans divers domaines de leur vie.
Ces inégalités d’accès aux soins, aux ressources naturelles, aux infrastructures sanitaires augmentent et alimentent les inégalités femmes/hommes, au Laos comme partout ailleurs dans le monde. L’action de PEMM envisage le problème de façon globale, avec une réponse sur les soignantes pour une autonomisation et une montée de compétence, pour un meilleur suivi et soin des femmes au cours de leur vie et dans leur projet de naissance tout en prenant en compte l’environnement dans lequel se déroule ces actions. Le fait est que l’inégalité des chances entre les genres est un problème complexe et mondial. Chaque réponse prise individuellement ne pourra pas changer la situation, il faut une convergence des actions avec une pensée des projets complexe et sur de multiples échelles.
En cette journée du 8 mars 2023, nous voulions mettre l’accent sur les réponses apportées par PEMM au Laos dans un cadre médico-sanitaire, sur le chemin parcouru,et sur les enjeux auxquels nous devons encore répondre.
Je terminerai cet article en vous rappelant, chez lecteur, que pour nous aider à lutter contre ces inégalités, vous pouvez donner, devenir adhérent, devenir bénévole de l’association… choisissez votre champ d’action et rejoignez-nous.
Mylène GELIOT
Sources :
La citation de l’ONU est extraite de leur site officiel : https://www.unwomen.org/fr/nouvelles/gros-plan/2022/03/gros-plan-journee-internationale-des-femmes-2022
OMS : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/maternal-mortality
Extrait du rapport d’évaluation de la mission du Docteur DEPREZ et LAUMOND. Nousrappelons que ces rapports de missions sont accessibles aux adhérents de l’associationqui le souhaitent (contact : peuplesetmontagnesdumekong@gmail.com)
Tous les chiffres de cet article sont extraits de la Banque Mondiale : https://www.banquemondiale.org/fr/home